Julie Boivin -
L’intimidation
Lettre d'une
enseignante à Mike Ward et aux humoristes
Je
suis en vacances et j'ai le temps de suivre les nouvelles un peu plus qu'à mon
habitude. Depuis quelques semaines, je lis des tonnes d'articles au sujet de
l'affaire qui oppose Mike Ward et Jérémy
Gabriel. De nombreuses publications envahissent aussi mon Facebook.
Impossible pour moi, en tant qu'enseignante au secondaire, de ne pas vous faire
part de ma vision des choses à vous humoristes qui criez haut et fort à
l'injustice et qui voyez, à travers ce débat, une noble cause et la nécessité
de défendre le droit d'expression...
Au Québec, en
2016, on se bat contre l'intimidation dans les écoles.
C'est comme ça depuis quelques années maintenant, depuis que de trop nombreuses
histoires de jeunes intimidés sont venues jusqu'à nos yeux et nos oreilles. Des
histoires tristes qui parfois ont eu des dénouements tragiques, qui ont même
mené jusqu'au suicide. Plus personne ne
peut nier ce problème aujourd'hui ! Tout le monde s'entend pour
prévenir et intervenir !
Dans
les écoles, l'alarme est sonnée, le mot d'ordre est donné : tolérance zéro
face à l'intimidation ! On se mobilise et tous les intervenants sont
concernés. On doit être à l'affût, tenter d'identifier les situations à risque,
encourager les victimes à briser le silence, sensibiliser les jeunes qui en
sont témoins à se positionner contre et surtout punir adéquatement les
oppresseurs.
Vous le savez
aussi, chers humoristes, je vous
entends parfois nous raconter votre propre adolescence, pas facile pour
personne cette partie de notre vie ! On doit apprendre à s'accepter tel
qu'on est, à se faire respecter, à prendre la place qui nous revient sans
toutefois écraser les autres autour... Pas facile pour un jeune "dit
normal", encore moins pour un jeune différent...
En tant
qu'enseignante, on me questionne parfois sur
ce sujet. On me demande ce que je mets concrètement en place pour contrer
l'intimidation et c'est normal, mon rôle est majeur ! Je suis un modèle
pour mes élèves. Ce que je dis, ce que je fais, la façon dont je me positionne
face aux différentes réalités influence et influencera longtemps ces futurs
citoyens que je tente d'éduquer, d'années en années, au meilleur de mes
capacités.
En tant qu'humoristes, vous êtes aussi des modèles. Voilà un rôle et une responsabilité sociale que vous ne pouvez totalement mettre de côté...
En tant qu'humoristes, vous êtes aussi des modèles. Voilà un rôle et une responsabilité sociale que vous ne pouvez totalement mettre de côté...
Donc d'une part,
socialement, on s'entend tous pour prendre des mesures pour contrer
l'intimidation et d'une autre, on doit
donner libre cours à un humoriste qui insulte et s'acharne à ridiculiser un
jeune qui est déjà victime des moqueries à son école ?
En réalité, mon
opinion est que de faire publiquement ce genre de blagues qui visent un
adolescent (d'autant plus, un adolescent handicapé), c'est de favoriser l’intimidation !
S'acharner sur l'apparence d'un jeune qui est à risque d'être attaqué, c'est de "donner du jus" aux intimidateurs ! Voilà pourquoi cette situation est inacceptable !
S'acharner sur l'apparence d'un jeune qui est à risque d'être attaqué, c'est de "donner du jus" aux intimidateurs ! Voilà pourquoi cette situation est inacceptable !
Monsieur Ward, à
quoi avez-vous pensé en répétant ces blagues méprisantes à l'égard d'un ado qui
cherche à faire sa place malgré son handicap ? Et
quel homme de « cro-magnon », totalement déconnecté de ce qui se
passe actuellement dans nos écoles, en quête constante de scandale faut-il être
pour ne pas faire la différence entre
des jokes de mauvais goût et la liberté d'expression ?
« Cinq ans plus tard, y est pas encore mort ! Il meurt pas,
le petit tabarnak ! Moi, je le défendais, comme un cave. Et lui, y meurt
pas. Moi, je te défends : toi, tu crèves, câliss. Asti de sans-cœur !
Y est pas tuable ! Je l’ai vu aux glissades d’eau à Bromont, l’été dernier,
j’ai essayé de le noyer. Pas capable, pas capable ! Je suis allé voir sur
internet, pour voir c’est quoi, sa maladie. Sais-tu c’est quoi qui a ? Y
est lette, esti !!! »
Heu... vraiment ? !
C'est pour ça
que vous, humoristes, vous vous mobilisez présentement ? C'est pour cette
cause, monsieur Ward, que vous vous permettez maintenant de faire appel à la
générosité de la population à travers votre levée de fonds ? Pour avoir le
droit de dire de pareilles saloperies en public ! ? Vous osez appeler ça de l'humour ? À ce
compte-là, n'importe quelles insultes et injures peuvent être de l'humour ! Si c'est le cas, je peux vous dire une chose :
la relève est assurée ! Il y a plein de futurs humoristes dans ce genre-là
dans nos classes !
Sérieusement,
de crier haut et fort que le monde de l'humour est dorénavant à risque de
censure à outrance, c'est de dévier de la vraie nature de cette histoire !
La liberté
d'expression n'est pas en jeu !
Pas plus que si
un jeune la revendique alors que j'interviens dans une
situation d'intimidation ! Je fais la
différence, je m'efforcerai d'enseigner la différence à mes élèves et j'ose
espérer que la population, humoristes compris, feront aussi la différence...
Texte colligé par courriel d'un ami JB
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